Sunday, April 12, 2009

Hommage à la poétique du fil

Les plus beaux métiers du monde
MANUFACTURE DES GOBELINS

Le XVIIe siècle, sous l'impulsion du mécénat, a vu se développer bon nombre d'institutions originellement consacrées à diffuser la grandeur du roi. Siècle de l'Académie des belles lettres, de l'Académie des sciences ou encore de l'Académie de peinture, c'est dans ce contexte de plein essor culturel que naît la manufacture des Gobelins en 1662.

A la manufacture des Gobelins, le trésor c'est 'L'Histoire d'Alexandre', oeuvre tissée par Le Brun en l'hommage de Louis XIV. Cette tenture majeure constitue l'étendard du savoir-faire et des techniques de l'artisanat français, mais elle exalte également la vaillance du jeune Roi-Soleil par le truchement de la geste d'Alexandre. Un travail directement lié à l'expansion du modèle politico-culturel de la France. Près de quatre siècles après, les préoccupations diplomatiques ont bien changé mais les tapisseries de la manufacture continuent d'habiller les murs des ambassades, des châteaux, de la bibliothèque nationale de France et autres forteresses appartenant au patrimoine architectural français ou étranger. Pourquoi ? Comme beaucoup d'institutions culturelles créées au XVIIe siècle dans le but d'exalter le pouvoir royal, la manufacture des Gobelins s'est, au fil du temps, développée de manière indépendante de sorte que, malgré le déclin de la monarchie, la politique culturelle lancée par Louis XIV a permis d'assurer et de contribuer à l'essor de l'art et de la culture en France.

En 1443, Jean de Gobelin, teinturier en écarlate, s'installe sur les bords de la Bièvre. La qualité de son travail le pousse bientôt à étendre son domaine de compétences, tant et si bien que, progressivement, de petits ateliers de tissage voient le jour. Deux siècles plus tard, Henri IV favorise l'expansion des ateliers en faisant venir deux artistes flamands connus et appréciés de la famille Gobelin. De leur collaboration naît la manufacture qui sera rachetée quelques années plus tard par Colbert pour devenir la célèbre manufacture royale des meubles de la Couronne. Celle-ci rassemble, sur un espace de quatre hectares, plusieurs ateliers de création. Les métiers du tissage à proprement parler comportent la haute lice et la basse lice. Ce sont en fait deux méthodes de travail qui se distinguent l'une de l'autre selon le métier à tisser utilisé. Lorsque ce dernier est vertical, on parlera de haute lice car l'élément permettant la séparation des chaînes se trouve à hauteur de tête. En revanche, le métier à tisser horizontal, qui nécessite l'emploi de pédales, est appelé basse lice. Historiquement plus récente, la savonnerie constitue le troisième domaine de création qui, pour sa part, est totalement consacré à la réalisation de tapis. Dans tous les cas, hauts-liciers, bas-liciers et savonniers confectionnent des oeuvres classiques et contemporaines, mais chaque spécialité requiert des savoir-faire bien spécifiques.

Ils sont nombreux à souhaiter intégrer la prestigieuse Manufacture des Gobelins. Pourtant sur une cinquantaine de postulants, seuls quinze pourront prétendre au concours de techniciens d'art. Avant de passer le diplôme de fin d'études, quatre années d'apprentissage seront dispensées aux élèves. Durant cette période d'étude, une grande partie du temps est consacrée à la technique et quatre demi-journées par semaine réservées au dessin. Sans doute dans un souci de rendre l'apprentissage plus vivant, les apprentis liciers occupent leur vendredi après-midi à la découverte d'un musée. Le parcours, très ardu sur le plan technique, se révèle néanmoins plus abordable sur le plan financier puisque les trois années qui précèdent l'examen sont rémunérées.

Si la première année d'étude consiste surtout à la réalisation d'abécédaires afin d'apprendre à maîtriser formes, figures, hachures et autres techniques de base, très vite se pose le choix de l'interprétation qui constitue l'un des axes central de la formation. Outre la patience que requiert ce type de métier, il faut savoir que l'adaptation d'une oeuvre en tapisserie ou en tapis soulève bon nombre de problématiques. D'abord, celle de l'agrandissement qui nécessite calculs, tracés, calques et visualisation. Ensuite, intervient la question de l'interprétation de l'oeuvre qui doit répondre à l'attente de l'artiste - si celui-ci est encore vivant - et qui diffère en fonction des matériaux utilisés. Par exemple, les savonniers n'utilisent que le coeur de la laine pour confectionner un tapis or, il se trouve que le velours est une matière qui absorbe énormément la lumière. De ce fait, chaque teinte prendra une lueur différente selon qu'elle est en laine, en coton ou en soie. Aussi, outre la question de l'interprétation, le choix des couleurs et des matières est un paramètre essentiel qui implique un véritable travail de collaboration entre liciers, concepteurs et teinturiers. Dès qu'une oeuvre est en cours d'adaptation, l'artiste et le licier se rencontrent régulièrement pour partager leurs impressions.

La restauration, du fil à retordre

Lorsque l'on sait qu'une tapisserie de 25 m2 nécessite plus de quatre années de travail, on comprend aisément que certains aient préféré se tourner vers la restauration ! Toutefois, il faut savoir qu'au XIXe siècle, la mode était au tissage très fin et que certaines pièces comptaient dix fils par centimètre, ce qui nécessite une précision et une minutie à toute épreuve. Par ailleurs, la restauration suppose une grande capacité d'adaptation. La rénovation de la pièce abîmée doit être imperceptible au point que, parfois, les erreurs commises sur l'oeuvre originale sont reproduites dans leurs moindres détails ! Précision mais aussi rapidité sont de rigueur car lors des examens de fin d'année, il est demandé aux apprentis savonniers de réaliser un morceau de tapis de 20 centimètres sur 20 centimètres dans un délai de 20 jours. Bien entendu, le résultat final doit parfaitement s'intégrer dans l'oeuvre originelle.

De fil en aiguille, il convient de souligner l'autre point fort de l'institution qui réside certainement dans sa capacité d'évolution. En accord avec l'ère du temps, ce ne sont pas que tapisseries médiévales ou tapis Henri IV qui font l'objet de tant d'attention. Des oeuvres contemporaines de Kandinsky, Alechinsky, Lurçat, Bioulès mais également des photographies ou des supports numériques constituent des sujets de création très appréciés des liciers comme des demeures nationales. Bien entendu, le temps de création d'une tapisserie implique que l'oeuvre choisie connaisse une certaine pérennité. En même temps, le tissage d'oeuvres modernes présente d'autres avantages. Il implique une collaboration entre licier et artiste qui peut aboutir à la création d'un objet artistique différent de l'objet initial. Ce dialogue créateur permet d'élargir les perspectives de l'artiste qui doit aussi prendre en compte les contraintes techniques posées par le tissage.

Savoir-faire et adaptation sont certainement les maîtres mots de la manufacture des Gobelins. Contrairement à d'autres établissements qui n'ont pu bénéficier d'un financement de l'Etat tel que les ateliers d'Aubusson, la manufacture n'a pas d'obligation de rendement, ce qui lui permet d'approfondir l'analyse et la finesse de sa production.

Reconnus à l'échelle internationale, les compétences d'interprétation et la maîtrise des procédés techniques constituent le fil conducteur de la politique de création de la manufacture des Gobelins. Une ligne directionnelle qui, au fil des siècles, continue de lui assurer une réputation de prestige.

Elodie Gabillard pour Evene.fr - Avril 2009

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